jeudi 9 décembre 2010

Le vieux et sa pépite

Allez, un petit coup de pioche et qui sait, peut-être que cette fois-ci, il la trouverait sa pépite ?

Parce qu’il cherchait depuis un moment, faut dire, il songeait tout en terminant son assiette ; un long moment, même, un de ceux qui se terminent jamais, qui traine en longueur, qui durent presque toute la vie. Tu as bien vu, lui disait sa femme, il promet la fortune, ce moment-là, la richesse, même ! Eh bien, Félicien, si fortune il y a, ce sera sans moi ! Et sur ses mots elle l’avait quitté, laissé, planté là, lui sur le seuil de la porte, les bras ballants, l’air ahuri, elle déjà de dos, le motif à fleurs de la robe qu’il avait toujours détesté s’éloignant doucement dans le crépuscule.

Ce moment-là, à défaut d’être long, claqua dans l’air comme une sentence, une dangereuse promesse : sa pépite, il la trouverait, ou bien il ne s’appelait pas Félicien.

En fait, il ne s’appelait pas Félicien, c’était sa femme qui l’appelait comme ça parce qu’il ressemblait au vieux monsieur de la pub pour les drôles d’ascenseurs à escaliers. Quand bien même, il trouverait sa pépite, et… Eh bien, il n’en était pas là, mais à coup sûr, le reste s’arrangerait pour filer droit.

Armé de sa pioche et en chaussons, Félicien sortit dans la nuit. Une vieille lampe éclairait un coin du jardin que l’on devinait accidenté dans la pénombre. Il pensa très fort à la pépite et s’éclaircit la voix pour lui chanter une petite sérénade qui l’apprivoiserait. Puis il se mit au travail très lentement, presque sans autre bruit que son doux fredonnement, il assenait coup de pioche après coup de pioche. De temps à autre, il s’arrêtait et, l’œil brillant à la lumière de la lampe, il appelait sa pépite. Dans un murmure. Mais faut pas croire, le Félicien, il l’a appelée de tous les coins du jardin sa pépite. Et elle n’a jamais répondu. Il finit par s’arrêter deux minutes. Mais ce soir-là est peut-être différent, il doit être différent, n’est-ce pas ? Sans s’en apercevoir, Félicien s’est remis à piocher, et il fredonne la musique de la pub pour les ascenseurs, s’arrête pour s’inquiéter. Perdrait-il la tête ?

Le vieux s’inquiète. Il sait bien qu’il est vieux. Trop vieux pour ce genre de choses. Mais il faut s’entêter, s’accrocher, se tenir fermement, ou bien… Ou bien… On perd la tête. Il pense à sa pépite, infime éclat de lumière perdu quelque part dans son jardin. Au pied d’un arbre, sous un massif de fleurs, dans une flaque de boue. Quelque part. Il continue à chercher, comme tous les soirs il insiste, il devrait déjà être couché… Mais rien, pas de pépite.

Quand soudain il entend quelque chose, une voix, il se précipite, le voilà qui fonce jusqu’au bout du jardin, serait-ce elle, enfin, sa pépite ?

Les voix prennent de la consistance. Elles parviennent de derrière le pommier.

« Et le fusil ?

- Dissuasif. Y avait personne dans la maison tous les soirs de la semaine. C’est une affaire qui roule, je te dis. »

Le vieux allume sa lampe. Son visage émacié et plein de terre surgit de l’obscurité. Quelques cris plus tard, les voleurs sont loin et, au pied du vieux, se trouve une petite boite de la taille d’une grosse pépite.