dimanche 20 avril 2008

Oiseaux de nuit

Voilà : c’est un sourire de presque rien, qui pourrait être le signal de beaucoup de choses, un verre de plus, une avance peut-être, ou simplement l’attente d’un sourire, en retour.
Voyez-le, lui qui pense n’avoir rien à avancer en échange de cet éclair de lumière. C’est vrai qu’il fait nuit et que le noir du dehors se bat pour entrer dans le bar. C’est vrai qu’il ne sait pas comment réagir, lui, le serveur.
L’homme aux côtés de la femme en robe rouge porte un chapeau comme le mien, que ni lui ni moi n’avons retiré. Pour ma part, je suis mille fois mieux ici que chez moi, à condition de n’avoir pas de regards à croiser. C’est la paix que je cherche, ça et un bon verre de whisky.
Le serveur hésite, mais pas longtemps. Dur de résister à un sourire comme celui-ci, surtout quand il est fait avec les yeux et le cœur derrière.
Donc il lui rend son sourire. Les yeux de la femme se sont plissés, comme un remerciement. Elle a d’abord été surprise –elle pensait à cet air de musique plein de soleil- mais elle a reconnu chez le serveur un peu d’attention, ce que son homme ne semble pas lui donner.
Alors, elle continue de le regarder, le menton bercé par la main. De l’autre côté, son homme parle. Tout seul, tout haut, pour lui, et pour elle il pense mais ce qu’il ne sait pas c’est que je suis le seul autre à écouter.
D’ailleurs je ne tiens pas longtemps. C’est un monologue ratatiné, flétri, replié sur lui-même, un de ceux qu’on assène à l’autre quand on est malheureux, comme pour le partager. « On » c’est un peu moi, je pense alors.
Soudain le silence se fait, complet, et plane comme un doute au-dessus de la femme. L’homme ne parle plus. Il lui a sûrement posé une question.
J’ai envie de rire. Elle rougit, le serveur préfère lui tourner le dos, va laver quelques verres.
La force des néons la brusque, souligne ses cernes, son ennui, elle a un vif coup d’œil de mon côté –je cache mes yeux sous le rebord de mon chapeau- avant de le rassurer.
« Tu as raison » lui dit-elle.
Il avale le fond de son verre d’un geste brusque et sec. Je pense à la bouteille de whisky que ma Luce a jetée à la poubelle.
L’homme se lève, il part, ouvre la porte et marque une pause. Là, au seuil de l’obscurité, il a l’air d’être au fond d’un verre, avec son imperméable humide, son visage morne, puis bientôt surpris, apeuré.
Sa femme est toujours assise au bar, tournée vers lui. Elle se demande, et moi avec elle, si elle aura le courage de finir son verre, d’une traite, de lui dire qu’il l’ennuie, avec son malheur, qu’elle voudrait autre chose. Mais ce n’est pas qu’une histoire de courage. C’est tellement, tellement plus compliqué.
« Je viens » elle lui dit, très tendrement, sur le ton d’une déclaration d’amour. Elle le suit, sa robe rouge mangée par la nuit.
Le serveur et moi, on est les derniers.
On ne se regarde pas trop. Je pense. Je pense que ma Luce m’attend, même si elle ne le sait pas encore ; elle doit dormir.
« Je vous en sers un autre ? » demande le serveur.
Je dis non, et je rentre.

jeudi 17 avril 2008

Je m'introduis

Voilà, c'est ça, je m'introduis, me faufile, me jette dans les filets de la Toile. J'ai mis du temps à prendre mon élan (par les bois, hahaha) faut ldire, mais me voilà lancée.
Mazette ! (Oaw, il est poussiereux ce mot) Maididonc ça va à l'encontre du sacro-saint Principe de Mépris pour les Bloggeurs. Oui, Messieurs (ola, c'est peut-être pas le meilleur endroit pour le clamer) Méprisables, je vais me retrouver devant la difficulté de me Mépriser Moi-Même (stop la majuscule).
Ben, dirais-je, jvais faire avec.
Après tout, je suis pas la seule à être bourrée de contradictions, si ? Tant que je désaoule assez pour m'en rendre compte... ;)
Voilà, libre à vous la promenade parmi des textes écrits en ateliers d'écriture ou en dehors. Libres aussi les commentaires (non, c'est pas vrai, je ne garderais que les élogieux).
Voilà.

Isabelle [pas celle qui a les yeux bleus]

A chaque retour au port, la figure de proue du bateau l’Isabelle embrasse du regard la ville qui se coule entre les mats.
Son regard est toujours le même, point bleu au milieu d’une figure craie, son regard ouvre son visage, le vent s’emporte jusqu’à son décolleté, trop large, sans mystère, sa robe d’un bleu criard enveloppe son corps. Isabelle est portée, dévoilée, exhibée au monde comme si elle ne devait jamais rester secrète. Isabelle est aimée. Aimée par le propriétaire du bateau, d’abord, aimée par les mouettes et les poissons, ensuite, qui rient presque de la voir imperturbable. Car elle ne fait jamais défaut, elle reste là, comme emportée par l’avenir, pleine de promesses.
Avant, Isabelle c’était une femme. Une femme aux cheveux blonds et rêches retenus par un chignon, qui portait des chapeaux de paille, des pattes d’oies aux coins des yeux et qui goûtait l’eau des vagues même quand elle était glacée. Du chignon d’Isabelle, on voyait toujours des mèches s’échapper.
Puis, Isabelle avait été une mère. Elle avait commencé à tresser ses cheveux en une natte solide dès son premier enfant, une fille ; plus tard, elle tressa ceux de sa petite, comme elle l’appelait.
Mais avant tout cela, Isabelle fut jeune fille. Elle porta de minuscules maillots de bain pour livrer le maximum de sa personne au soleil. Elle courut vers l’océan comme vers un être cher et disparu ; elle embrassait déjà du regard, mais c’était l’horizon qu’elle contemplait, et son souffle se faisait plus léger, gorgé d’espoirs et de rêves.
Isabelle fut amoureuse. Il était fils de pécheurs, il connaissait l’océan, il était nuque, épaule, poignet, cuisse, parfois absent mais tellement plus présent que l’horizon.
Et pourtant lui aussi se glissait entre les vagues dans son bateau armé de voiles, lui aussi lançait des espoirs avec ses filets, comme le ciel ouvre aux possibles.
Isabelle l’aima parce qu’il revenait toujours, apportant des nouvelles du large, les cheveux et le corps salés, les yeux humides. Quelquefois elle l’emmena danser, au son des accordéons, dans les bastringues du bord de mer ; il terminait la clope qu’il avait au bec avant de la rejoindre.
Aujourd’hui, Isabelle c’est une figure de proue. Elle n’attend plus son homme parce qu’il l’emmène désormais avec lui. Quand il fend les vagues, il aime lui jeter un regard, savoir qu’elle est là. Il lui a laissé les cheveux libres et ce sont désormais toutes ses mèches qui semblent s’envoler. Il a donné corps à son souvenir et regrette souvent de ne pouvoir lui donner ni voix, ni chaleur, ni ce souffle léger qu’elle avait. Mais quand un coucher de soleil éclair l’horizon, quand le clapotis des vagues les berce tous deux, son homme se prendrait à sourire, comme les mouettes et les poissons. Il voit l’écume qui se loge dans les yeux d’Isabelle, le lichen qui pousse sur ses pieds, le bleu de sa robe qui devient le bleu de l’océan et il est sur le point d’éclater de rire.
Il rentre alors au port, tournant le dos à l’horizon, il retourne chez lui. Il y retrouve leur fille, qui s’est coupé les cheveux courts, à la garçonne, et qui s’est mise à l’accordéon.