lundi 12 mai 2008

Les petits bleus

Cette lumière, surtout, était...
Autoritaire. Il y avait, dans sa manière d'agencer l'espace, comme un dernier mot, une espèce de parole amère qui giflait celui y oubliant son regard.
A ses pieds, un escalier déroulait des marches assez fines, rapiécées là où on les avait trop foulées. Des murs décrépis l'encadraient.
Une sonnerie de réveil la tira du rêve : elle eut l'impression de sortir la tête de l'eau, et elle se tint là, haletante, à se demander comment elle avait pu retenir son souffle aussi longtemps. Mais peut-être ça n'avait duré qu'une seconde. Une seconde et une flopée de mots.
La journée était une journée, rien qu'un jour, semblable aux autres, sans rien qui aurait pu le rendre unique ; et pourtant elle était triste, et triste encore de n'avoir aucune raison de l'être. Elle le voulait bien, à condition d'en avoir le droit. On ne pouvait pas se laisser être n'importe quoi, n'importe quand, ça n'avait pas de sens, et pourtant tout était gris, gris clair ou bien gris foncé.
Devant ce flagrant délit de tristesse injustifiée, elle fit de son mieux pour être heureuse. Ca ne marcha pas très bien ; sans doute son mieux était-il lui-même assez déprimé, si bien que le tout n'était plus qu'une tambouille noire.
Ceux qui l'entouraient, même s'ils avaient une parole à lui adresser, ne la lui dédiaient pas vraiment, ou alors la blessait légèrement, comme un petit bleu qu'on lui aurait fait. C'était involontaire, c'était bien pour cela qu'elle ne pouvait pas leur en vouloir, mais tous ces petits bleus tournoyaient dans sa tête, se condensaient, comme la buée, en un nuage qui virait au gris.
Elle savait qu'elle avait un tas de défauts, entre autre, celui de prendre tout et de le multiplier à l'infini, un peu comme l'aurait fait un miroir. Elle savait aussi que c'était plus dur de vivre ainsi, et elle trouvait ça terriblement injuste.
Elle imagina faire face à quelque chose d'horrible, comme la guerre, ou la disparition, et qu'alors elle se briserait en un million de morceaux, tous identique portion de sa sensiblerie ; et elle s'éparpillerait et ne s'appartiendrait plus, triste miroir qui aurait récupéré trop de reflets.
Elle coupa la musique qu'elle était en train d'écouter. Elle la tenait pour personnellement responsable de sa grisaille. D'ailleurs, elle arrivait bientôt. La fête foraine était installée en plein centre-ville, et elle catapultait sa nuisance tout autour d'elle, ainsi que ses couleurs, ses rires et ses douces frayeurs. Elle se promena un peu parmi la foule, seule et libre, acheta de quoi manger, pensa un instant aux enfants du Tiers Monde, ceux qui mourraient et ceux qui avaient du mal à vivre, et pensa à nouveau que son mal à elle était nettement moins grave, que peut-être un jour il lui arriverait quelque chose, à elle, elle qui n'était pourtant même pas mourante, elle qui était juste assez renfermée pour être seule et pas assez pour pouvoir l'apprécier réellement.
Elle eut envie de s'amuser, comme quand elle était petite, alors elle se rendit aux palais des glaces, ce dédale de verre où les murs sont parfois là, parfois ailleurs, transparents ou invisibles. Elle déambulait en suivant les indices au plafond -on pouvait y apercevoir les jointures des murs- quand elle vit la porte.
Elle se retint de réfléchir et la poussa.
Derrière, une fenêtre qui distribuait sa lumière,
un escalier aux marches usées et des murs décrépis
la ramenèrent à son vieux rêve, limpide et mystérieux.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

T'as pas perdu la main (encore heureux!).Sa ce lis comme ce que l'ont bois, d'une traite(la vache ! ...).

un anonyme pas si inconus.