mercredi 25 juin 2008

Marcel

La chaleur envahit tout. Elle serre et enveloppe les corps, les arbres, les choses, elle s’étend, s’égare, se glisse au cœur des êtres et les étouffe. Elle pèse sur les nuques, les branches, perle au front des hommes et assèche les feuillages. La chaleur règne, discrète, sur les vivants.
Marcel est vivant. Plutôt douloureusement mais sans aucun doute. La vie s’accroche à sa gorge, lui interdit de lâcher prise. Lui ne s’interdit pas une déprime de plus. De trop.
Il fouille dans son bazar hétéroclite, ramène son portable, inanimé. Il presse une touche et son cœur se serre, rien, pas de nouvelles. En fond d’écran, le jardin de ses parents, sa balançoire, le ciel derrière.
Il s’allonge à nouveau sur son lit et fixe le plafond. Pas d’horloge pour égrener le temps, juste les battements de son cœur qui s’emballent régulièrement à la moindre pensée qui s’élève.
L’ennui est comme la chaleur. Il s’infiltre, se coule, liquide, jusqu’au cœur, puis voyage jusqu’aux mains, aux doigts engourdis, se jette ensuite au visage, brouille la vue, la rend grise, terne.
Marcel n’a plus goût à rien. Ses lèvres, sèches, emprisonnent des mots que ses pensées cherchent à libérer. Marcel est chez lui comme sur une île déserte. Il n’a pas de carte pour lui indiquer quel chemin prendre. Il ne sait pas vraiment où il veut aller. Marcel sait qu’il pourrait chercher à partir, mais il sait aussi qu’autre chose, toujours, viendra le recouvrir, l’envahir, lui presser le cœur, l’oppresser tout entier mais jamais tout à fait.
Marcel est fossoyeur. Il creuse des fosses, voilà tout, de simples trous dans la terre, une terre tout à fait normale, avec parfois quelques fleurs qui viennent pousser. Mais le monde autour de lui et lui tout au fond savent que rien d’autre ne viendra pousser sinon quelques fleurs. Marcel ne construit pas, il enterre ; et chaque coup de pelle est pour lui un coup au cœur.
Pourtant il ne fait que creuser. Il n’entend les pleurs et les bénédictions que de très loin, poussés par le vent. Il ne voit que les chapeaux noirs des femmes. Mais il imagine les yeux en dessous, il voit les mains et les mouchoirs. Et puis le temps. Il observe le temps qui s’effiloche lentement comme un vieux pull.
Après son dernier coup de pelle de la journée, il rebrousse chemin jusque chez lui. Se glisse dans la fin du jour, dans l’obscurité de sa chambre, dans celle sous ses paupières. Dans le sommeil. Et son corps fatigué, son corps qui s’enterre et se déterre plusieurs fois par jour, son corps se tait. Il n’y a plus rien, alors.
Et tous les matins, Marcel se réveille. Certains matins mieux que d’autres, parfois il a le cœur moins lourd, l’esprit plus léger, son pas est facile, il se dit que les choses sont belles, ne pense pas à l’ennui et à la chaleur. Le temps n’est que des minutes qui s’assemblent seules sur le cadran d’une montre.
Ces jours-là, Marcel se permet quelques découvertes. Il a l’intime conviction que petit à petit il dépliera sa carte, aura le détail de ce qui l’entoure, le frôle, l’appelle ou le hurle. Ces jours-là il parle, de lui et de son travail, des peurs qui le tenaillent et des libertés qu’il voudrait prendre.
Parfois son monde s’agrandit, parfois il se heurte et se flétrit comme empoisonné, blessé.
Marcel s’allonge alors comme par un coup de pelle, s’allonge sur son lit et regarde le mauvais temps passer.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ont a tous étaient un Marcel un jour. Ou alors au jour le jour... Je vais m'enterrer avec cette idée, ont ferais mieux d’être plus souvent le fossoyeur de nos propres pensées.

A ton prochain texte miss. Sa fait du bien de te lire a nouveau :)