dimanche 31 mai 2009

Les valseurs

Une pénombre. Un coin de pièce.
Une entaille ; un peu de vie coincée entre deux instants morts.
Sur un vieux meuble en bois flétri trône une sculpture, une sculpture en bronze de deux amants dansant l’un contre l’autre. L’homme a passé sa main dans le dos de la femme et la berce tendrement ; il tient son autre main fermement dans la sienne. Il est penché sur elle comme pour l’embrasser, souffle chaud perdu dans sa nuque ; elle, dans un élan, semble vouloir s’échapper, sa robe se brise sur ses hanches, déferle le long de ses jambes, s’écrase presque au sol. Prise dans cette étreinte, elle incline la tête ; ils se frôlent, s’effleurent, se touchent à peine.
Et soudain leurs peaux se craquèlent, leurs gestes s’animent, l’ombre se fait moins forte…
Ils dansent. Le silence porte leurs pas, les trois temps les observent.
Les mains de l’homme attirent la femme, glissent au bas de son dos, caressent la peau de pénombre qui marque sa chute de rein. Il saisit plus fort sa main, son dos, ils vont tomber, déséquilibrés, mais il la mène, une pirouette et son pied, léger, se pose à nouveau.
Ils dansent.
Soudain la valse se brise. Elle tente de le repousser mais il dépose maintenant dans son cou de petits baisers tendres. Elle le repousse, se détache de lui, saisit sa robe qui traîne à présent par terre, la saisit et la remonte jusqu’aux cuisses, ce qui lui donne l’air d’un petit sauvage. Le tissu pend contre sa poitrine et ses fesses. Son décolleté est sans mystères, ses jambes minces, ses chevilles fines. Elle marche d’un pas nerveux en direction du vide. L’homme est surpris. Il reste un instant les bras ballants, nu, avant de lui emboîter le pas.
Elle s’est assise au bord du vide les genoux sous le menton, le bas de sa robe en un tas à côté d’elle.
« Ca va ? Demande-t-il.
- Non. J’en ai marre.
- … Marre ?
- Ouais. De danser. (Une pause.) De tes mains.
- …
- Marre de toi.
- … De moi ?
- Ouais. »
Un silence froissé. L’homme s’est assis à côté d’elle. Le résultat est moins poétique. Si sa chair se répand sur le pauvre meuble en bois flétri, lui ne dit rien. En vérité il ne sait pas quoi dire.
« T’en n’as pas marre de danser ? Lance-t-elle. Prendre vie pour s’agiter, moi j’trouve ça pas très évolué. Pas très humain. Un humain, il fixerait ses pieds en louchant. A la rigueur il tournerait en rond. (Un soupir, un geste de la main.) …Mais pas ça. »
Silence.
« Moi tu vois j’voulais… J’voulais… (Elle agite les mains, cherche ses mots, abandonne.) J’pensais pas qu’on se retrouverait là. »
Silence poli.
« Tiens j’reprendrais bien ma robe… Un truc plus court… »
Nouveau silence. On distingue maintenant les contours de son visage, fin, ses grands yeux clairs, les coins de sa bouche qui retombent un peu. Le soleil gagne l’horizon.
L’homme hésite, une longue seconde, puis saisit doucement le poignet de la femme. Il se lève, l’arrache à son rebord et rejoint le socle posé sur le vieux meuble. Elle proteste ; leurs regards se figent à l’instant précis où les rayons du soleil les effleurent.
La jeune femme a relevé sa robe à hauteur de cuisses, dévoilant ses jambes.

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